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Discussion: Nantes, les 14 et 15 novembre 2008

Discussion sur 2 jours, entre lutte des classes et lutte contre l’aéroport de ND-des-Landes


Première partie

Cette lutte-là est peu connue. On ne savait pas l’ampleur qu’elle a eue. On a le sentiment d’une effervescence où de nombreuses formes de lutte coexistent et se soutiennent. Un sentiment de nécessité, d’urgence d’agir, de s’impliquer.
Aujourd’hui on est plus frileuxSES, mais ça ne peut pas être pareil, l’arsenal répressif est déjà « préparé ». On manque d’élan. Si on manque d’élan, est-ce que ce n’est pas parce qu’il manque l’envie? En ce moment, il y a pourtant un fort mouvement de révolte dans les universités italiennes. Il y a encore la lutte dans le Val Susa.

La question du pouvoir
Ils n’ont même pas pensé à « prendre la mairie », par exemple. « Le pouvoir fort était suspect » (Erri De Luca, 1998).
– « Toujours être dans la défaite« , c’est ce qui est arrivé jusqu’à nous.
– Mais aussi rester dans le conflit. Si on prend le pouvoir, alors on n’est plus dans le conflit – ou alors c’est la guerre civile. Identifier un ennemi au pouvoir c’est facile, si c’est nous qui sommes au pouvoir, alors c’est la guerre civile.

– Avec la désobéissance, chacunE peut agir à son niveau, moins dans la revendication mais plus dans le quotidien, sans s’engager, et ça fera boule de neige.
– Mais quand on a éprouvé le rapport de force, la puissance collective, on a envie de revivre ça. Faire des choses à son niveau c’est bien, mais si par exemple c’est quelque chose de risqué, on peut se retrouver face à un échec, et en plus seulE.
« C’est vrai, moi j’ai vécu toute seule, et finalement il m’a manqué cet aspect collectif. »
En fait on se rend compte que c’est assez facile, même sans forcément d’engagement formel: il y a des failles, le système ne tient finalement à pas grand chose. C’est la crise, on n’est pas si loin des années 70. Il suffit de s’y mettre.
Et ça a été éprouvé à plusieurs occasions ces derniers temps (luttes étudiantes et lycéennes contre le CPE notamment). Ca bouleverse nos vies.

La classe moyenne
Aujourd’hui la classe moyenne a « quelque chose à perdre », ou au moins « à prouver ».
Riches, classes moyennes, banlieues: je ne crois pas que ces classes soient opérantes. Tout le monde est pauvre en fait, le rapport à l' »avoir » est complexe: des enfants de bourgeois dans la rue, des prolétaires qui vivent comme des bourgeois. Les classes sociales ne sont plus une grille de lecture satisfaisante pour comprendre les dynamiques sociales.

Les ouvriers
Le mouvement de l’établissement est très important aussi en Italie.
Les ouvrierEs veulent surtout quitter l’usine, ou défendre leurs acquis sociaux, plutôt que « se réapproprier les moyens de production ».

La question du ghetto

Pourquoi poser la question du ghetto? Sans culpabilité, il suffit de se regarder: on a moins de 40 ans, on est plus ou moins blancHEs, on a été à l’école… La lutte ne peut pas avancer sur plusieurs fronts.

Pour sortir du ghetto, il y a des leviers. Par exemple des terrains de lutte, comme le problème de la biométrie. A Dijon, il y a eu une alliance entre les « radicaux » et d’autres militants, soc-dem et compagnie. La stratégie a été de faire des alliances, de sortir du ghetto, en n’étant pas puriste au moment où on est en train de perdre du terrain dans le rapport de force.
C’est intéressant, il y a deux options:
– la révolte comme présupposé, préliminaire à toute mise en action;
– la volonté d’ouverture pour essayer d’aller trouver le commun, même avec des gens avec lesquels sur des sujets on est opposéEs et d’autres non.

Moi j’ai grandi dans le « libertaire », avec ses peurs de l’engagement, la distance par rapport aux groupes qui durent, etc. On est dans le papillonnage. Il faudrait réinventer un sens de l’engagement et du collectif et des imaginaires autour de ça. Mais il ne faudrait pas pour autant retomber dans la foi politique ou l’engagement sacrificiel de certains militants d’extrême-gauche, maos, etc. dans les années 70, ni dans l’identification à un groupe, « son » groupe, se satisfaire de lui.

Exigence pratique de réalité concrète du « ici et maintenant ».
L’autonomie ouvre des espaces concrets qui se sont fixé leurs propres lois.

Une trentaine de personnes participaient à la discussion.



Deuxième partie, le lendemain

Un exemple nantais de lutte: l’aéroport de Notre-Dame des landes
Au départ de cette lutte, il y a des associations qui se sont regroupées, très légalistes. En parallèle, des groupes d’action autonomes se sont constitués, réalisant des actions symboliques avec un bon « impact ». Les gens ont été appelés à se constituer en petits groupes d’action. La logique des légalistes tend à repousser au maximum l’engagement concret, à épuiser tous les ressorts légaux d’opposition, gardant l’action directe comme dernière possibilité, désespérée. Dans cette lutte, il faut aussi lutter contre le fatalisme de celles et ceux qui disent que ça va se faire de toutes façons, qu’on ne peut rien y faire. Vite on se rend compte des limites de l' »utilisation » des médias, notamment locaux.
L’idée de rassembler des gens sur ce thème, c’est pour ouvrir les discussions et la lutte à celles contre l’Etat et le capitalisme, pas en faire un combat de riverains. Surtout que c’est un projet d’aéroport de « modèle européen », le même qu’à Toulouse où il y a aussi une lutte populaire.
On a été confronté à l’action limitante des syndicats: à Nantes il y a eu un mouvement des salariés dans un hôpital. Les syndicats nous on envoyé chier quand on leur a proposé de venir nous raconter leur lutte. La convergence des luttes est encore un mot vain.

Les stratégies d’alliances avec des groupes ou associations institutionnels, c’est dur et pas toujours intéressant. Mais ça peut être efficace sur des actions concrètes, précises, et sur une certaine forme de solidarité.

Un espoir

Il y a des parallèles à faire entre aujourd’hui et les années 70 en Italie, même sans connaître exactement les logiques économico-politiques internationales. J’ai l’impression qu’il y a des possibilités qu’un tel mouvement soit en train de naître, même si les contextes sont différents. Aujourd’hui, les syndicats, les partis et organisations politiques ont quand même perdu une partie du contrôle qu’ils exerçaient traditionnellement. Ca devrait être une force supplémentaire pour nous.
Si l’intervento prend son sens maintenant, c’est parce qu’il y a des grandes peurs sur la situation économique et politique, et qu’en plus les liens entre les gens sont de plus en plus détruits. Le contexte fait que finalement il n’y a pas de réponse large ni construite, mais tout peut commencer, tout est possible. Il faut se laisser surprendre, faire confiance aux réactions, aux volontés, aux savoirs et aux stratégies d’autres groupes sociaux. Les « autonomes » ne sont pas « essentiels ».
Le parallèle avec le soulèvement en Argentine en 2001 est important. D’ici pas longtemps, il peut se passer la même chose.

Il faudrait arrêter de prendre « les gens » pour des cons. Mais se donner envie. Se donner envie, mais sans dire « comment ça serait », sans être une avant-garde.

Dans la lutte on se sent en vie, lors de certaines expériences on se sent en vie. Alors ces moments il faut se les dire, se les raconter, parce que c’est ça qu’on voudrait qu’il y ait plus souvent, ou même tout le temps. C’est un genre de « modèle pour plus tard ».
L’idée c’est que dans la rencontre, même avec des gros nazes, il y a du commun. Si on donne de l’importance à ça, pour même s’inspirer de stratégies d’autres groupes sociaux, on sera plus fortEs. Dans la lutte on se découvre, on découvre des aspects des gens, c’est là que ça devient intéressant, lorsque les étiquettes explosent.

Sur la période répressive et « l’anarcho-autonomie », il y a un changement important: avant il y avait des flagrants délits, dans l’affaire de la sncf il n’y a pas de preuves. Le problème, ou plutôt ce qui est en jeu, ce ne sont pas les quelques anarcho-autonomes, mais la résonance que ces idées peuvent avoir dans la société, surtout dans la période de crise qui va s’accentuer. Il y a quelque chose en jeu dans cette histoire de « crise ».

Est-ce qu’on peut partir du fait que c’est forcément politique de saboter? Ne pas comprendre pourquoi des gens sabotent, c’est un problème. Evidemment les médias taisent les raisons éventuelles. Il y a 2 ans, des ANPE et des assédics ont été brûlées. Personne n’a été arrêté, personne n’en a parlé. Décrypter les médias, dire qu’ils mentent, c’est assez partagé parmi mes collègues. Mais trouver ces raisons éventuelles, c’est beaucoup plus dur. Mais peut-être qu’il faut laisser du temps. L’enjeu pour les temps à venir, c’est de continuer à dire que les sabotages sont des pratiques de lutte, et en faire.
Ce n’est pas l’intention qui est visée (l’acte de saboter), mais plutôt les pensées qui ont pu amener à ça. La pensée politique (par les textes, les écrits) est sous les feux des projecteurs.

Pour moi ce qu’il faut, c’est le bordel, la théorie du kaos. Il faut du débordement!
Faire du lien, rencontrer des gens, comprendre leurs motifs, ça m’intéresse pas forcément. Trouver du « commun », ce n’est pas la panacée.
C’est à nous de donner du sens, à mettre du sens à ce bordel, que les motifs ou les bonnes raisons soient partagées.
On doit s’amuser, pour pas trop se prendre au sérieux et vaincre la peur.

Encore une trentaine de personnes participaient à la discussion, une dizaine de personnes de la première partie, une vingtaine de nouvelles.