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Discussion: Dijon, le 14 octobre 2007

ALTERNATIVE VS. INSURRECTION

Pourquoi nous intéressons-nous à cette période?

Comment l’héritage de l’autonomie italienne a débouché sur les formes organisées de l’autonomie en France, construite sur une conflictualité avec l’Etat et le capitalisme, permettant une réappropriation de sa vie, et également a inspiré « l’alternative », qui fait intervenir la question des rapports inter-individuels dans la remise en question globale de la société, alors que ces deux approches peuvent paraître contradictoires?

D’abord, il convient de revenir sur cet héritage. Il est en partie inconscient, passé dans la culture d’une part du mouvement contestataire, se sédimentant dans l’imaginaire collectif, sans nécessairement que les principes soient extraits, analysés et remis en cause dans le contexte actuel. Il est aussi en partie fabriqué, devenu mythe perdu, avec une série d’actes et d’images « esthétisants » qui symbolisent une opposition de masse et violente à l’Etat et au capitalisme. Dans les deux cas, la question des stratégies, notamment liées à la violence diffuse, la lutte armée, l’illégalisme populaire, n’est pas mise en perspective. Certaines pratiques, issues de l’Italie des années 70, sont parfois déconnectées de stratégies globales, d’une vision politique. Le lien entre « les masses » et « l’élite théorique » reste lacunaire dans la transmission des hauts-faits de cette époque.
Donc, qu’est ce qu’on fait de cet héritage, quelle histoire on en fait?

Aujourd’hui, l’enjeu est dans l’engagement, solide, déterminé, avec la perspective de construire un mouvement.
Par rapport à la génération précédente, on peut être lucide sur ce qui a fait qu’elle a connu la désillusion, et en tirer des bilans pour éviter que cette situation ne se reproduise. La honte parfois portée par les acteurs et actrices des luttes de cette période doit nous alerter. Dans les années 70, on avait une foi aveugle dans la révolution, aujourd’hui il y a une faille dans la construction d’un rapport de force.
Les punti rossi italiens nous questionnent sur la circulation de l’information.
L’usine comme point de rencontre et de départ de luttes nous interroge également (opéraisme, « ouvrier social ») sur la question du lieu, du prolétariat regroupé dans des immenses lieux de production permettant une conscience de classe qui n’est plus si évidente aujourd’hui. Encore que le prolétariat, plus qu’une classe qui aurait conscience d’elle-même, peut être vu comme une place dans un rapport de domination sociale, ce qui ouvre une possible comparaison avec la situation actuelle. Il est tellement segmenté, séparé, que la question du lieu de rencontre inexistant revient comme un des points essentiels à déjouer dans cette société dédiée à la circulation.

« L’alternative » est la position politique qui consiste à croire qu’un « en-dehors » du capitalisme est possible, qu’on peut en déserter, au moins en partie; que les actions individuelles portent en germe des changements radicaux de la société. « L’autonomie » est la position politique qui consiste à croire que l’individu n’existe pas, qu’il n’est qu’une place dans un rapport de force et que seules les actions collectives de lutte permettent la constitution d’espace d’autonomie; que l' »en-dehors » du capitalisme n’existe pas.
Si ces deux approches sont différentes, elles peuvent tendre vers le même objectif: l’entretien de pratiques « autonomisantes » (la mécanique, l’imprimerie, les logiciels libres, le potager, etc.) en dehors des temps de lutte permet de les utiliser pendant les mouvements sociaux rapidement et efficacement, et rend la vie plus intéressante. Il est question plus largement d’expériences qui permettent d’entretenir et alimenter un mouvement quand ça devient vital de l’élargir et le faire durer.

« Le don d’attiser dans le passé l’étincelle de l’espérance n’appartient qu’à l’historiographe intimement persuadé que, si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en sûreté. »
Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, Oeuvres III p.431

Environ 25 personnes participaient à cette discussion.