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Article: Déshonneur de la France (2007)

La France a été une terre d’asile pour les réfugiés politiques, les exilés, les persécutés. Etre une terre d’asile est un devoir noble mais grave. Il implique d’être généreux avec les faibles, les vaincus, et inflexible avec les gouvernements qui réclament leurs corps pour les mettre en prison.
Au mois d’août, la nouvelle France a été généreuse avec les forts, en allant rendre hommage à domicile au pire président des Etats-Unis depuis un siècle. La nouvelle France a été généreuse avec le désastreux Bush, à la fin de son mandat, et elle a été inflexible avec les faibles, avec les vaincus, avec ceux qui, depuis longtemps, s’étaient rendus et avaient trouvé asile en France. Il n’est pas question aujourd’hui de parole donnée par un président de la République et révoquée par un autre. Il ne s’agit pas d’engagements pris et rompus par la suite. Il s’agit en revanche de l’image de la nouvelle France dans le monde. En l’espace d’un mois, elle a été ternie par deux petits événements : l’hommage rendu au puissant et l’outrage à l’hôte impuissant.
La presse italienne titre solennellement : "Arrestation des super-fuyards politiques". Ils n’étaient pas et ne sont pas des réfugiés. Depuis bien des années, ils étaient en fait les hôtes de la terre et du gouvernement français. Ils ont des papiers en règle et sont joignables à leur domicile. En Italie, nous sommes habitués aux imprécisions volontaires de l’information, généreuse avec les forts, impitoyable avec les faibles.
Mais c’est l’Italie, alors qu’il s’agit ici de l’image politique de la nouvelle France. Et de ce qu’elle décidera à propos de citoyens plus français qu’italiens désormais, au regard de leur durée de séjour, mais aussi de leur insertion sociale et de leur mariage avec des personnes de nationalité française, avec des enfants nés en France.
Laissez-moi vous dire à quoi ressemble la politique française de ce mois d’août, laissez-moi vous le dire, et tenez-vous bien : elle ressemble à l’image de la pire Italie. Celle qui, avec ses gouvernements successifs, s’est mise au service servile des Etats-Unis, en suivant toutes leurs entreprises militaires insensées, en faisant de mon pays une province et de sa politique étrangère une série d’actes de soumission, au point d’accéder à leur dernière exigence, le doublement de la base militaire de Vicence.
Sans arriver à l’extrême servitude italienne, qui ne prévoit pas de double clé pour ces bases, la nouvelle France a fait suivre un acte d’hommage gratuit au seigneur de la guerre d’un deuxième acte qui ressemble beaucoup à celui accompli par le gouvernement italien vis-à-vis du chef de la résistance kurde Ocalan. Il l’a invité sur son territoire et puis l’a expulsé en le remettant à ses ennemis. Si la nouvelle France remet les réfugiés politiques à l’Italie, elle ne les donnera pas à une justice plus que tardive, mais à ceux qui "s’érigent en juges sans cesser d’être des ennemis", comme l’a écrit dans un autre contexte le juriste allemand Carl Schmitt. Ils ont été condamnés sur la base de lois spéciales qui indignèrent la France d’il y a trente ans.
Oui, c’est une histoire vieille de trente ans. Mon pays, chroniquement incapable d’en finir avec cette lointaine saison en décrétant une amnistie, continue à persécuter des vaincus.
La France a droit à sa juridiction d’exception en matière de droits humains. Elle est le seul pays d’Europe qui peut légitimement y prétendre en tant que patrie des principes écrits de liberté, égalité, fraternité. La fraternité est ce qu’il y a de plus difficile dans cette trinité laïque. Que Londres garde jalousement sa livre sterling, qu’il revendique son exception monétaire, mercantile. La France est fondée à revendiquer une souveraineté indépendante en matière de droits et d’asile. Elle l’a fait jusqu’à maintenant. Pourvu qu’elle ne décide pas tout à coup de ressembler à l’Italie !

 

Erri De Luca (écrivain),

traduit de l’italien par Danièle Valin,

Le Monde, 4 septembre