Occupations de logements à Limbiate
(extrait de Vivere a sinistra, d’Emina Cevro-Vukovic, Arcana Editrice, 1976, Roma)
Nous sommes 11 dans la famille, 5 frères et 6 soeurs, et aujourd’hui nous ne sommes plus que 3 frères et 2 soeurs. Nous sommes de Bari, mais cela fait 8 ans que nous sommes ici, à Limbiate. Au début on habitait dans le centre, et puis on a été expulsé vers le cimetière dans la maison qui avait été celle du gardien, parce que le patron avait démolit la maison où on habitait, elle risquait de s’écrouler. Un soir, je me souviens, on rentrait chez nous, quand 3 jeunes gars sont arrivés, dont je ne connaissais pas le nom, ils ne sont plus là maintenant, et ils nous ont invités à l’occupation. C’est comme ça qu’on est venus, ça fait 7 mois qu’on est ici.
– Ca a été une décision de toute la famille?
Oui, la maison où on habitait avait 3 pièces, une salle de bain et une cuisine. La salle de bain avait seulement des toilettes et un lavabo. Il y avait une pièce normale, et une qui ressemblait à une cave, pas plus haute que moi, à peu près, et humide. A cette époque on était 9 et on dormait, moi et mes frères, dans cette pièce avec ma mère et mes soeurs, une espèce de cave. Dans la cuisine il y avait un autre de mes frères qui dormait. On s’arrangeait. Et puis j’ai rencontré ces trois gars. Un peu avant avait eu lieu une assemblée où ils avaient décidé d’occuper, mais on savait pas le jour. Nous sommes venus le 24 mai.
– Vous n’avez pas peur de la police?
Moi personnellement, non, mais ma mère a peur seulement parce qu’elle sait que si la police arrive, je serais un de ceux qui seront en première ligne, alors ça l’inquiète, tu sais comment sont les mères. Je crois que nous sommes prêts à affronter la police.
– Qui travaille dans votre famille?
Moi, et l’autre jour mon frère s’est mis à bosser aussi. J’ai une soeur qui a eu un accident quand elle avait 12 ans, et depuis elle a des crises d’épilepsie, alors elle ne peut pas travailler. J’ai une autre soeur qui a 14 ans et qui va à l’école. Et une autre de 15 ans, mais elle vient de faire une fugue, elle est partie de la maison.
– Pourquoi?
On sait pas. Je lui ai demandé pourquoi tu as fait ça, il te manque rien, tu es jeune, faire cette connerie à ton âge, tu devrais prendre exemple sur moi qui suis encore à la maison à 21 ans, mais bon. Rien. Elle était pas en mesure de me répondre. Maintenant elle vit avec sa belle-mère, elle est pas encore mariée, mais ils sont promis. Mon père a le tendon d’un doigt déchiré. Il ne peut pas faire d’efforts et ça fait déjà deux ans qu’il a présenté sa carte d’invalidité et il n’a toujours pas eu de réponse. Ma mère a 55 ans.
– Ton père, comment il a pris cette occupation?
Ca ne l’intéresse pas beaucoup. De temps en temps il me pose des questions. Il dit: qui sait ce que vous ferez quand la police arrivera. Réponse: on restera là, on luttera. En fait il est pas contre, lui il est communiste, et le parti est opposé à cette ligne, mais au fond il est bien content d’avoir une belle maison pour vivre. Il y a ma chambre et celle des frères, la chambre des soeurs, celle de ma mère, la salle à manger et la cuisine.
– Ta vie a changé avec cette occupation?
Beaucoup. J’ai commencé à connaître les gens, j’ai commencé à discuter. Avant, c’est pas que ça ne m’intéressait pas, mais je n’avais jamais eu l’occasion de me rapprocher de certains trucs, de pouvoir discuter d’une occupation, des autoréductions. Je vivais au milieu de gens, non pas des bourgeois, mais qui voulaient imiter la bourgeoisie. Je bossais mes 8 heures par jours, le soir j’allais au bar, et le dimanche j’allais danser. Depuis que je suis arrivé ici ma vie a changé. Tous les jours se valent. J’aide beaucoup, aussi bien au nettoyage de l’escalier. Ma vie d’avant ne m’intéresse plus. Il y a un nouvel horizon qui s’est ouvert et je vois maintenant des choses que je ne voyais pas avant.
– Si cette occupation finit bien et que vous réussissez à obtenir les logements, comment tu penses continuer ton nouvel engagement?
On fera d’autres occupations. On a occupé une église aussi, à Limbiate, pour faire un centre culturel pour nous, les jeunes. Aujourd’hui comme lieu de rencontre on a le banc du tram. On est là où on prend le tram. Mais on a décidé de se construire un centre culturel autogéré. Evidemment la mairie n’est pas d’accord. Alors, ici, à Limbiate, il y a une église que les gens disaient être vide depuis plus de 15 ans. Nous on a décidé de l’occuper. On est restés dedans 3 jours, c’était très beau, on l’avait toute nettoyée. Le quatrième jours on a été expulsés.
D’ailleurs, quand les flics sont venus nous expulser, à 7 heures du matin, on était 7 à dormir dedans, et eux ils étaient 60. Giovannoni, l’adjudant, est arrivé, en disant qu’il était l’autorité, parce qu’on avait demandé l’acte officiel d’expulsion. Il a dit qu’à Limbiate c’est lui qui commandait, et il nous a viré de façon dégueulasse. L’église elle nous était utile, parce qu’avec ce temps, le brouillard, le froid, sur le banc du tram c’était un peu dur. La mairie nous a dit que si on arrivait à trouver un local, elle était disposée à payer une partie du loyer. Pour le moment, on attend plutôt de réessayer une nouvelle occupation. On voudrait des grands locaux où on pourrait lire, faire de la musique, regarder des films, discuter. Pour cette tentative des jeunes, beaucoup de gens ont participé. Ils venaient de Senago, de Mombello, de Bollate, parce qu’on sent tous le besoin d’un centre culturel et de se retrouver, quand on est tous ensemble on fait des choses, alors qu’aujourd’hui, sur le banc du tram, tout le monde ne vient pas.