Nous ne sommes pas dramaturges professionnelles, ni chercheurs ou historiennes, mais sommes des personnes en lutte. Chômeurs ou charpentières, nous parcourons vos rues comme mille autres visages en manif, nous portons des colères et des questions de fond, comme mille autres personnes vivantes, comme vous, quant à la manière dont nous nous organisons pour vivre sur cette planète. Nous sommes étonnéEs par les légendes du mouvement autonome italien qui circulent dans l’ombre de la « mémoire des vainqueurs », selon W.Benjamin. Nous nous sommes renseignéEs par nos propres moyens et compilons petit à petit un album d’écrits, de sons et d’images sur l’histoire de l’autonomie italienne, de façon subjective. Depuis plus de sept ans nous ramenons ces récits dans des squats, des universités occupées ou des locaux autogérés, ou encore d’autres lieux curieux, avec la conviction qu’ils recèlent des inspirations et des interrogations précieuses pour les mouvements de résistance actuels.
Bien sûr, n’importe quel écolier saura vite – combien de fois l’a-t-on répété ? – qu’il faut connaître l’histoire pour «mieux saisir le présent et tenter de peaufiner l’avenir». Mais Benjamin a le mérite de nous pousser au-delà de ces évidences premières, ou plutôt de nous en montrer le sens caché. Et cela, parce qu’il s’attaque de plein fouet à «la conception progressiste» de l’histoire, qu’une grande partie d’entre nous partage au quotidien. Nous sommes, en effet, dans nos sociétés technologiques avancées, généralement prisonniers d’une conception mythique de l’histoire. Une conception qui voit dans l’histoire une réalité inéluctable; mieux, une prescription à laquelle personne ne peut échapper, nous rappelant sur le mode du diktat implacable qu’il nous faut progresser, nous adapter, être de notre temps. (…) (Continued)
Le mouvement autonome italien est peut-être l’un des mouvements de lutte les plus puissants de l’histoire récente occidentale. Fort de ponts exceptionnels entre étudiants et ouvriers, « autonome » des partis et des syndicats, massif et violent dans ses modes d’actions, il fera durer mai 68 pendant dix ans. Ce sont les « hordes païennes » de jeunes immigréEs du Sud qui paralysent les usines, revendiquant le refus du travail, remettant à l’ordre du jour les pratiques d’action directe qui avaient secoué les mêmes industries en 1920 avant de s’endormir sous le fascisme. Ce sont des quartiers entiers qui, face à l’inflation, refusent de payer les loyers ou les factures. C’est une irruption tonitruante des femmes, homosexuelLEs, jeunes et chômeurSEs sur la scène politique. Ce sont des analyses précises et originales de la transformation de l’économie occidentale. C’est une explosion des radios libres qui se font « la voix des sans voix » tout en jonglant avec l’ironie et la philosophie. C’est enfin le tournant de 1977, les émeutes, les chars blindés à Bologne, une répression féroce : un mouvement étranglé qui n’a plus d’autres issues que la fuite, l’héroïne ou la clandestinité. Beaucoup « d’autonomes » passeront des années en prison, sans manquer d’en faire encore un lieu de luttes.
Des lectures tirées de plus de 15 ouvrages différents et entrecoupées de photos et d’enregistrements sonores permettront, chapitre après chapitre, d’avoir un aperçu de l’atmosphère brûlante de l’époque et d’approcher les questions qu’elle nous pose aujourd’hui.
Coups d’oeil sur le mouvement autonome italien des années 1970.
« Les années de plomb », « le mouvement », « le camarade P.38 », « les indiens métropolitains »… des images tantôt cultes,tantôt soigneusement effacées par le pouvoir. Dans tous les cas, une histoire singulière qui n’est pas lointaine, que nous ne voulons pas oublier.
Nous proposons de la faire résonner grâce à des ambiances, grâce aux mots de celles et ceux qui ont mis leur vie en jeu dans la lutte, qui s’organisaient collectivement quand tout était possible…
Attention : cette mémoire peut avoir des effets secondaires sur le présent.